Les organisations de producteurs de la pêche pour les petits pêcheurs : une étape essentielle à franchir

Capture d’écran 2022-04-21 à 11.33.32

L'un des problèmes auxquels est confronté le secteur de la pêche artisanale est l'absence de représentation spécifique dans les organes officiels de la profession. C'est particulièrement le cas en France où les pêcheurs artisanaux peinent à s'unir pour défendre leurs intérêts. Pour l'instant, le secteur de la pêche artisanale n'est pas représenté au sein des instances officielles. Bertrand Cazalet, secrétaire et conseiller juridique du Syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie (SPMO), les organisations de producteurs de pêche (OPP) constituent un outil que les petits pêcheurs européens ont tout intérêt à investir pour assurer leur avenir, et plus particulièrement en Méditerranée pour mieux défendre leurs modes de gestion traditionnels basés sur la polyvalence et un fort maillage territorial. Interview.

Qu'est-ce qu'une organisation de producteurs de pêche ? Quel est le rôle des OPP dans l'UE ?

L'organisation de producteurs (OP) est un outil européen spécifique créé dans le cadre des politiques européennes communes.Les organisations de producteurs (OP) ont été créées dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), puis de la politique commune de la pêche (PCP). Les OP regroupent des producteurs (pêcheurs, agriculteurs, etc.) dans une zone donnée, souvent sous forme de coopératives, mais aussi d'autres structures organisationnelles et juridiques.

La reconnaissance d'une OP se fait au niveau national par le biais d'un processus supervisé par l'UE. Les OPF sont considérées comme essentielles pour atteindre les objectifs de la PCP, et la gestion de leurs activités de production et de commercialisation leur est déléguée :

– Production : comprend l'organisation générale des activités de pêche, l'attribution, la gestion et le contrôle des quotas de capture et de l'effort de pêche, la gestion des licences, l'élaboration et la mise en œuvre du règlement intérieur, le contrôle et la sanction des membres de la FPO ;

– Marketing : comprend l'organisation de la première vente (en liaison avec les criées et les marchés portuaires), l'amélioration et le suivi de la traçabilité et de l'application des mesures sanitaires, ainsi que la mise en œuvre d'initiatives visant à valoriser les produits tout au long de la chaîne de valeur.

Chaque OP doit produire un plan de production et de commercialisation annuel ou pluriannuel qui détermine tous les éléments nécessaires pour que l'OP atteigne ses objectifs dans les conditions définies par la réglementation européenne.

Les pêcheurs artisanaux méditerranéens sont-ils représentés dans les OP ? Existe-t-il des OP spécifiques à la pêche artisanale dans la région ?

Lorsque l'on parle de pêche artisanale, il s'agit de bateaux relativement petits utilisant des engins passifs ou non remorqués. En France, la pêche artisanale est synonyme de "petits métiers" et en Espagne d'"artes menores". Pour la Commission européenne, la pêche artisanale est pratiquée par des navires de pêche d'une longueur hors tout inférieure à 12 mètres et n'utilisant pas d'engins de pêche remorqués. 

Il existe quelques exemples d'OP dédiées à la pêche artisanale en Europe[1] mais il n'existe pas d'OP spécifique pour la petite pêche polyvalente en Méditerranée. En France, les OP sont soit composées uniquement de pêcheries industrielles, soit mixtes avec différents segments de flotte représentés. Toutefois, même ces dernières ont été créées et contrôlées à l'origine par de grandes sociétés de pêche. Dans les deux cas, il est très difficile pour les petits pêcheurs de faire reconnaître et défendre leurs intérêts. En Méditerranée, plus de 80% des pêcheurs artisanaux n'appartiennent pas à des OP.. Cela s'explique par des raisons historiques et par le système de gestion de la pêche en Méditerranée, où l'accès à la pêche ne repose pas principalement sur l'octroi de licences et de quotas.

Et quelle est la situation en dehors des OP en Méditerranée aujourd'hui ? 

Les petits pêcheurs de la Méditerranée sont principalement les skippers individuels dont les activités sont saisonnièrement polyvalentes et exercées à proximité du rivage. 80% d'entre eux n'étant pas associés aux OP, ils sont fragilisés par 1) l'affaiblissement des Prud'homies (structures traditionnelles de gestion communautaire propres à la Méditerranée française), dont certaines ne fonctionnent plus du tout ; 2) les difficultés rencontrées par certains comités de pêcheles organisations de la société civile, notamment au niveau départemental, qui peinent à maintenir leur capacité de représentation et d'action pour leurs membres ; 3) la réduction des moyens dont disposent l'État et son administrationqui tend à déléguer de plus en plus la gestion, le suivi et le contrôle des activités de pêche aux OP.

De même, une pression politique et professionnelle croissante s'exerce sur l les pêcheurs qui ne font pas partie d'une OP rejoignent les OP existantesIls sont informés qu'ils auront moins de droits, qu'ils perdront leurs antécédents, leurs licences, qu'ils n'auront pas droit aux fonds européens. C'est absolument faux d'un point de vue purement juridique car il ne peut y avoir de discrimination dans les règles d'accès aux ressources halieutiques et aux soutiens financiers. L'État français reconnaît également qu'il doit rééquilibrer le système des droits de pêche qui est très largement favorable aux OP, mais qui, compte tenu du fait que les ressources halieutiques sont un bien public, est discutable d'un point de vue de l'équité[2].

L'organisation "Golion" a entamé un processus pour être reconnue en tant qu'OP : pourquoi ? 

Golion fonctionne officiellement pour le compte d'un groupe de petits métiers de la Méditerranée depuis 10 ans, avec une structure (GIE) reconnue par arrêté ministériel pour gérer les espèces soumises à quota (thon rouge et espadon). La structure est associée à un syndicat professionnel mais elle est limitée dans son champ d'action (thon rouge et espadon), dans ses pouvoirs de gestion des droits de pêche (licences) et dans sa durée (car sa structure doit être renouvelée tous les trois ans).

Pour sortir de cette insécurité juridique et agir sur l'ensemble de la pêche artisanaleNous avons décidé d'initier un processus de reconnaissance de l'association Golion en tant qu'OP. Lancée en 2014, Golion est propriétaire d'un "label propre" de groupe sous lequel sont commercialisés les produits de ses membres. La structure de Golion comportant une dimension économique, elle remplit les conditions préalables nécessaires au lancement d'un processus d'OP, processus qui a été initié sans aucune forme de soutien financier public ou privé.

Qu'attendez-vous de la reconnaissance de Golion en tant qu'OP ?

L'avantage d'être reconnu en tant qu'OP est tout d'abord institutionnelcar il vous permet de mieux s'organiser, d'être mieux représenté et soutenu (administrativement, techniquement et financièrement) et donc, in fine, de mieux défendre ses droits. Face aux exigences croissantes de la PCP et de ses règles de gestion, nous disposerions, en tant qu'OP, d'une structure qui nous donnerait un poids officiel ainsi que le droit d'être entendus par les autorités et l'administration. C'est aussi une façon d'assurer l'avenir de notre organisation en tant qu'organisation officiellement agréée.

La pêche artisanale va devoir faire face à des pressions croissantes sur ses zones de pêche, notamment en raison des conditions imposées par le plan pour la Méditerranée occidentale (West Med) et des implications pour les chalutiers,[3] avec notamment un transfert de l'effort de pêche vers la côte. La réglementation européenne dans son ensemble va continuer à se durcir et les segments de flotte les plus fragiles seront les premiers à disparaître. Les petits métiers ne pourront pas surmonter les contraintes et les coûts imposés par les règles de suivi, de contrôle et de surveillance, à moins qu'ils ne parviennent à s'unir.. En Méditerranée française, il existe encore 1 000 navires artisanaux hors OP, ce qui justifie pleinement la reconnaissance d'une OP dédiée à la pêche artisanale. Une telle initiative est également conforme aux engagements pris par la France auprès de l'organisme régional des pêches - la CGPM (Commission générale des pêches pour la Méditerranée) - et de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Plan d'action régional pour la petite pêche (PAPS) que la CGPM a adoptée en 2018.

Quels autres avantages la création d'une OP artisanale pourrait-elle avoir pour les pêcheurs eux-mêmes et pour la pêche en général ?

Dans le cadre du PO, nous voulons défendre nos méthodes de gestion méditerranéennes, qui adoptent une approche non pas par espèce mais par territoire, l'utilisation de techniques polyvalentes et la diversité saisonnière. Dans ce type de gestion, les règles sont établies en fonction du contexte, des territoires et des pratiques locales. Ce sont en fait les principes de gestion des Prud'homies, organismes séculaires qui ne sont reconnus ni au niveau étatique, ni au niveau européen. Ces organismes pourraient être revitalisés et re-légitimés en étant associés à une OP de pêche artisanale.[4]

La petite pêche polyvalente est généralement un casse-tête pour les gestionnaires et les scientifiques, qui trouvent plus facile de modéliser un système spécialisé et monospécifique de quotas de capture ou d'effort par bateau. On nous reproche souvent le manque de suivi de l'effort de pêche artisanale : avec une OP artisanale dédiée, nous pourrions documenter les opérations de pêche, traiter les données de capture, d'effort et de commercialisation, soutenir les pêcheurs et mieux les intégrer dans les systèmes de suivi. Seule une OP dédiée à la pêche artisanale serait en mesure de le faire, car les OP existantes en Méditerranée ne pourraient pas offrir au millier de navires associés non OP un tel cadre de travail. axée uniquement sur la grande diversité des pratiques et des caractéristiques de la pêche artisanale.

Quelle est la procédure à suivre pour créer une OP ? Y a-t-il des conditions particulières à remplir ? 

Vous devez disposer d'un la structure économique déjà établie des producteursNotre application se base principalement sur le critère du nombre de navires (85% de petits navires en Méditerranée) et sur la valeur de la production plutôt que sur les volumes produits. Notre candidature se base principalement sur le critère du nombre de navires (85% de petits navires en Méditerranée) et sur la valeur de la production plutôt que sur les volumes produits. Nous avons constitué un dossier qui répond aux exigences de l'Etat français pour la reconnaissance des OP. Le nôtre fait plus de 70 pages et comprend les statuts, le règlement intérieur, le dossier de présentation, le plan de production et de commercialisation, les données de tous les pêcheurs (licences, captures), etc. Il doit ensuite être soumis à la DIRM (Direction régionale de la Méditerranée), qui est la branche de l'administration française chargée d'instruire les demandes au niveau méditerranéen. Elle formule ensuite un avis qu'elle transmet à la DPMA (Direction des pêches maritimes et de l'aquaculture), l'administration nationale des pêches et des affaires maritimes, qui prend la décision finale.

Et avez-vous réussi à mobiliser les pêcheurs autour de la nécessité de créer une organisation de pêche artisanale ?

C'est la principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Nous ne disposons que de moyens très limités pour atteindre notre objectif et d'aucune forme d'aide publique. Comme indiqué plus haut, notre représentativité ne sera pas évaluée sur le volume des captures car nous avons peu de débarquements et de quotas, mais sur le nombre de bateaux. Notre particularité est de représenter de nombreux bateaux dans une seule zone, la Méditerranée française. Dans notre dossier initial soumis à la DIRM, nous avons 112 bateaux, ce qui ferait de nous la première OP française de Méditerranée en termes de nombre de navires artisanaux. Mais ce n'est pas suffisant, il faut atteindre 150 navires pour satisfaire pleinement aux critères de reconnaissance. Il nous faut donc attirer de nouveaux membres et pour cela mobiliser les gens dans les ports, les Prud'homies, etc. Notre manque de moyens nous désavantage à long terme.

Avez-vous confiance en l'avenir ?

Je suis assez confiant car nous répondons aux critères, et Je ne vois aucun obstacle juridique ou technique à notre demande. Je pense également que l'administration a compris qu'il y avait un intérêt professionnel à structurer les petits métiers en OP. Il y aura de moins en moins de ressources et de plus en plus de contraintes, donc tout ce qui peut favoriser l'autonomie et la capacité des pêcheurs est une bonne stratégie à avoir avec l'administration. Enfin, j'espère que les représentants professionnels prendront à leur tour conscience de la nécessité fondamentale de structurer les "petits métiers" en OP. Avec les prochaines élections dans les Comités des Pêches (qui représentent aussi les petits métiers), nous pourrions susciter un intérêt plus favorable pour notre projet et établir des collaborations concrètes pour nous permettre de finaliser rapidement ce processus vital pour les petits métiers. 

Pour en savoir plus, cliquez ici :

Rapport

Cazalet, B et O'Riordan, B. 2020. "The Pros and Cons of Creating Producer Organisations (PO) for Mediterranean Small-Scale Fishers" Low Impact Fishers of Europe. 41 pages.

https://lifeplatform.eu/wp-content/uploads/2021/06/LIFE-Producer-Organisations-PO-Guidelines-EN.pdf


[1] L'"Organizacion de Productores Artesanales de la Lonja de Conil" à CONIL de la Frontera en Andalousie (Espagne), qui regroupe environ 50 bateaux de pêche artisanale utilisant des engins passifs ("artes menores") ; FSK (Low Impact Inshore Fishing PO), l'un des membres de LIFE au Danemark, une OP qui rassemble 45 navires appartenant à plusieurs associations de pêche côtière ; et l'OP Estuaire en France, qui est une OP monospécifique et se consacre uniquement à la gestion de l'activité de pêche à la civelle (anguille juvénile). Voir dans : Cazalet, B et O'Riordan, B. 2020. "The Pros and Cons of Creating Producer Organisations (PO) for Mediterranean Small-Scale Fishers" Low Impact Fishers of Europe. 41 pages

[2] Le nouveau plan d'action du gouvernement présenté en mars 2022, bien que très général, prévoit de "favoriser l'appui technique aux petites entreprises en réformant les règles de répartition des quotas", y compris "une attention accrue à la production hors OP". https://mer.gouv.fr/sites/default/files/2022-03/Plan-action-peche-durable_DP.pdf

[3] Plan de gestion européen dans le cadre de la PCP qui prévoit une réduction de 40% de l'effort de pêche sur cinq ans (2021-2025) dans une zone définie de la Méditerranée occidentale.

[4] Les Prud'homies remontent au Moyen-Âge, elles sont inscrites au patrimoine immatériel de la France depuis 2021 et un processus de classement au patrimoine immatériel de l'UNESCO est en cours.d